martedì 19 giugno 2012

Anche in francese gli ultimi interventi sul Tibet

Trad. e cura di M.-A. Patrizio

« Sur La Repubblica online du 9 juin, nous (DL) lisons :
Tibet, les dossiers dévoilés sur la guérilla : « L’argent de la Cia au Dalaï Lama »
« Sueddeutsche Zeitung : en 1951, le leader non-violent approuva la lutte armée. Les Usa entraînèrent les guérilleros des années durant, mais sacrifièrent ensuite leur appui à la cause de la realpolitik et à la normalisation de leurs rapports avec la Chine. »
De notre correspondant à Berlin, Andrea Tarquini. 
Le Dalaï Lama, depuis le début, connaissait l’appui de la Cia, des services secrets étasuniens, à la lutte armée du peuple tibétain contre l’occupant chinois. A ce qu’il semble, bien qu’étant un symbole mondial de la non-violence, il l’approuva. L’appui de la Cia commença par des engagements secrets étasuniens avec le gouvernement légitime tibétain, donc avec le Dalaï Lama en personne, de 1951 à 1956, après la brutale occupation chinoise du Tibet en 1950. L’histoire est racontée par les journalistes d’investigation du Sueddeutsche Zeitung, et aura à coup sûr provoqué des sauts de joie à l’ambassade chinoise à Berlin.

Les premiers contacts remontent à une année après l’agression chinoise. Ils ont lieu entre le Dalaï Lama et les agents étasuniens à travers l’ambassade Usa de New Delhi et le consulat à Calcutta. Le Pentagone assura au Dalaï Lama en personne, écrit le Sueddeutsche Zeitung, armes légères et aides financières pour le mouvement de résistance. Pendant l’été 1956, l’opération de la Cia au Tibet devint un dossier en lui-même, sous le nom de « ST Circus».
   On s’y propose, d’après les documents réservés et des témoignages d’anciens de la Cia comme John Kenneth Knaus, de « faire tout ce qui est possible pour garder vivant le concept d’un Tibet autonome ». Et de « développer une résistance contre tout développement au Tibet conduit par la Chine communiste ». Knaus raconte sa première, et froide, rencontre avec le Dalaï Lama. Washington s’engagea à entraîner des guérilleros tibétains dans la lutte armée contre l’occupant chinois, à les armer, et aussi, écrit le quotidien libéral de Munich en citant un présumé dossier secret, à verser 180mille dollars annuels, « sommes déclarées comme aide financière au Dalaï Lama».
    Aux mémorandums de la Cia succédèrent les faits. Les guérilleros tibétains furent entraînés dans des camps secrets d’abord dans des îles des mers du sud, puis à Camp Hale dans les Montagnes Rocheuses, où les conditions climatiques étaient proches de celles du Tibet. Les contacts avec le Dalaï Lama et sa suite étaient continus, même pendant sa fuite aventureuse du Tibet occupé vers Dharamsala en Inde. Les guérilleros entraînés par la Cia comptèrent jusqu’à 85mille unités, leur organisation s’appelait « Chushi Gangdruk ».
   Officiers et instructeurs tibétains formés par les étasuniens étaient parachutés par de vieux bombardiers Boeing B17 (les glorieuses forteresses volantes qui firent plier Hitler et le Japon) volant à basse altitude sur le Tibet occupé, sans inscription permettant de les identifier. Les guérilleros attaquaient en petits groupes. « Nous tuions volontiers autant de Chinois que nous pouvions, et à la différence de quand nous abattions des animaux pour les manger, nous ne disions pas de prières pour leur mort », raconte un vétéran de la résistance tibétaine.
   Le Dalaï Lama, écrit le Sueddeutsche Zeitung, n’a pas menti, certes, mais il n’a pas non plus jusqu’à présent dit la vérité sur ses rapports avec la lutte armée. Celui qui est salué par le Pape comme « Sa Sainteté », est défini dans le titre du quotidien allemand, dans une attaque non dépourvue de malice, comme « Heiliger Schein », apparence de sainteté. L’opération Cia avec le Dalaï Lama commença dans les années 50, mais se termina brusquement, après le voyage secret à Pékin du secrétaire d’Etat étasunien de l’époque, Henry Kissinger, au début de la normalisation des relations Usa-Chine. La cause tibétaine fut alors sacrifiée à la realpolitik des deux puissances. De nombreux guérilleros se tirèrent une balle ou se tranchèrent la gorge ou les veines plutôt que de tomber aux mains du Gabuo, la Gestapo chinoise. D’autres, mâtins de guerre, s’enfuirent au sud et s’enrôlèrent dans les meilleurs corps spéciaux indiens. » 


Voyons à présent cet extrait de La non-violence. Une histoire hors du mythe. p. 196-97. (DL)

« J’ai toujours mené la bataille tibétaine pour la liberté selon les principes de la non-violence », affirme le Dalaï Lama (Tenzin Gyatso [XIV Dalaï Lama], p. 53) Mais c’est un cadre très différent que nous découvrons dans deux ouvrages dont sont respectivement auteurs, unique pour le premier ou co-auteur pour le second, deux fonctionnaires (de grade plus ou moins élevé) de la Cia. Le premier, qui a collaboré pendant des décennies avec le Dalaï Lama et qui exprime son admiration et sa dévotion pour le « leader bouddhiste voué à la non-violence », rapporte en ces termes le point de vue exprimé par son héros : « S’il n’y a pas d’alternative à la violence, la violence est consentie ». D’autant plus qu’il convient de distinguer entre « méthode » et « motivation » : « Dans la résistance tibétaine contre la Chine la méthode était de tuer, mais la motivation était la compassion, et cela justifiait le recours à la violence ». De façon analogue, c’est-à-dire en confinant la non-violence dans la sphère des bonnes intentions, le Dalaï Lama cité et admiré par le fonctionnaire de la Cia justifie et célèbre la participation des Usa à la seconde guerre mondiale et à la guerre de Corée, dès lors qu’il s’agissait de « protéger la démocratie et la liberté ». Ces nobles idéaux auraient continué à inspirer Washington à l’occasion de la guerre du Vietnam, même si dans ce cas les résultats n’ont malheureusement pas été à la hauteur des intentions. On comprend que, sur cette base-là, la syntonie s’avère parfaite avec le fonctionnaire de la Cia, qui tient à se faire photographier avec le Dalaï Lama dans une attitude amicale et affectueuse. Il se hâte même de déclarer que lui aussi, exactement comme son vénérable maître bouddhiste, n’aime pas les « armes à feu » mais qu’il se résigne à en approuver et promouvoir l’usage quand celui-ci s’avère inévitable (Knaus, 1999, p. X et 313).  Et donc, ainsi réinterprétée, la non-violence semblerait être devenue la doctrine inspiratrice de la Cia !
   Ce sont pourtant justement les fonctionnaires de cette agence qui finissent par tracer un portrait objectivement désacralisant du Dalaï Lama. Sa fuite de Lhassa en 1959 constitue la réalisation d’ « un objectif de la politique américaine depuis au moins une décennie » (c’est-à-dire à partir du moment où se profile la victoire des communistes dans le grand pays asiatique). Au moment du passage de la frontière entre Chine (Tibet) et Inde, le Dalaï Lama nomme général un des Tibétains qui l’ont assisté dans sa fuite, pendant que deux autres, sans perdre de temps, avec la radio que leur a fournie la Cia, transmettent à celle-ci un message urgent : « Envoyez-nous par voie aérienne des armes pour 30.000 hommes » (Knaus 1999, p. 178 ; Conboy, Morrison 2002, p. 93). Malgré l’entraînement sophistiqué fourni aux guérilleros, malgré la disponibilité de leur côté d’un « inépuisable arsenal venant du ciel » (les armes parachutées par les avions étasuniens) et la possibilité de compter sur une base arrière sûre au-delà de la frontière chinoise et en particulier à la base de Mustang (au Népal), la révolte tibétaine, préparée dès avant 1959 par le lancement d’armes et d’équipements militaires dans les zones les plus inaccessibles du Tibet, échoue (Knaus 1999, p. 225 et 154-55). Pour le dire avec un historien canadien plusieurs fois cité (Tom Grunfeld) : « Les dissensions au Tibet étaient insuffisamment répandues pour soutenir une rébellion longue et ouverte » ; au contraire, « même les critiques les plus âpres contre la Chine sont obligés de reconnaître qu’il n’y a jamais eu une insuffisance de volontaires tibétains » pour l’Armée populaire de libération chinoise (Grunfeld 1996, p. 164 et 170).
        En conclusion : les commandos infiltrés à partir de l’Inde obtiennent des résultats « généralement décevants » ; « ils ne trouvent qu’un faible appui dans la population locale ». La tentative d’ « alimenter dans la zone une guérilla à grande échelle s’est révélée un échec laborieux » ; « en 1968 les forces de la guérilla à Mustang vieillissaient », sans être capables de « recruter de nouveaux éléments ».Les Usa sont obligés d’abandonner l’entreprise, ce qui provoque une grave déception chez le Dalaï Lama: « Non sans amertume, celui-ci constata qu’en 1974 Washington avait effacé son soutien au programme politique et paramilitaire » (Knaus 1999, p. 281, 235, 292 et 312). »


Sur violence et non-violence, aujourd’hui comme hier la mystification de l’idéologie dominante est omniprésente. A propos du caractère « pacifique » des manifestations de la Place Tienanmen, autre extrait de « La non-violence », p. 225-227. (DL)

« En 2001 ont été publiés et ensuite traduits dans les principales langues du monde les dits « Tienanmen Papers » qui, si l’on en croit les déclarations de ses présentateurs (étasuniens), reproduisent des rapports secrets et les procès-verbaux classifiés du processus décisionnel qui a débouché dans la répression du mouvement de contestation. Nous constatons ici un paradoxe. Nous sommes en présence de documents, dont l’authenticité est contestée par les dirigeants chinois, lesquels ont peut-être quelque difficulté à admettre la fuite à un niveau élevé de documents réservés qui, pour l’essentiel, informent sur un processus décisionnel  tellement tourmenté qu’il ne se conclut que grâce à l’intervention décisive du leader charismatique Deng Xiaoping. De leur authenticité, par contre, jurent leurs grands dieux les présentateurs et les éditeurs, selon qui les documents qu’ils publient montrent l’extrême brutalité d’un régime qui n’hésite pas à submerger dans un bain de sang une contestation absolument pacifique et en quelque sorte gandhienne. Si ce n’est que la lecture du livre en question finit par faire émerger un cadre bien différent de la tragédie qui s’accomplit à Pékin. Certes, les leaders du mouvement font parfois profession de « non-violence », mais ce sont les présentateurs étasuniens des Tienanmen Papers eux-mêmes qui soulignent que les troupes appelées au début du mois de juin pour dégager la place « se heurtèrent à une population enragée et violente ». On constate déjà combien sont significatifs les noms que s’étaient donnés les groupes les plus actifs : « Tigres volants », « Brigade de la mort », « Armée des volontaires »[1].
 En effet :

Plus de cinq cents camions de l’armée ont été incendiés au détour de dizaines de croisements […] Sur l’avenue Chang’an un camion de l’armée s’est arrêté à cause d’une avarie de moteur et deux cents révoltés ont assailli le conducteur en le frappant à mort […]. Au carrefour Cuiwei, un camion qui transportait six soldats a ralenti pour éviter de toucher la foule. Un groupe de manifestants a alors commencé à lancer des pierres, des cocktails Molotov et des torches contre le camion qui, à un moment s’est incliné sur le côté gauche parce qu’un de ses pneus avait crevé à cause des clous que les révoltés avaient semés sur la chaussée. Alors les manifestants ont mis le feu au camion en lançant des objets enflammés, provoquant l’explosion du réservoir du camion. Les six soldats sont morts carbonisés[2].

Non seulement le recours à la violence est récurrent, mais parfois avec des armes surprenantes :

Une fumée vert-jaunâtre s’éleva soudain à une extrémité du pont. Elle provenait d’un véhicule blindé endommagé qui se transformait lui-même à présent en barrage routier […] Les blindés et les chars d’assaut qui étaient arrivés pour déblayer la route des barrages n’ont rien pu faire d’autre que se mettre en file à la tête du pont. Un jeune homme est alors arrivé en courant, à l’improviste, et a jeté quelque chose dans un des blindés avant de repartir en courant. Quelques secondes après, on a vu cette même fumée vert-jaunâtre sortir du véhicule, tandis que les soldats se traînaient hors de celui-ci et se couchaient par terre, sur la route, et agonisaient en se tenant la gorge. Quelqu’un a dit qu’ils avaient inhalé un gaz toxique. Mais les officiers et les soldats, malgré leur colère, sont arrivés à garder leur autocontrôle[3].

Ces actes de guerre, avec recours récurrent à des armes interdites par les conventions internationales, s’entrecroisent avec des initiatives qui laissent encore plus pensifs : est ainsi « contrefaite une couverture du "Quotidien du peuple" »[4].
   Voyons quelles directives sont données, en face, par les dirigeants du parti communiste et du gouvernement chinois, aux forces militaires chargées de la répression :

S’il devait arriver que les troupes soient l’objet de coups et mauvais traitements entraînant la mort par les masses obscurantistes, ou si elles devaient subir l’attaque d’éléments hors la loi avec des barres de fer, briques ou cocktails Molotov, elles doivent garder leur contrôle et se défendre sans faire usage des armes. Les matraques seront leurs armes d’autodéfense et les troupes ne doivent pas ouvrir le feu contre les masses. Les transgressions seront immédiatement punies.

Si l’on se fie au cadre ici tracé par ce livre publié et diffusé pour sa propagande par l’Occident, ceux qui font preuve de prudence et de modération ne sont pas les manifestants mais bien plutôt l’Armée populaire de libération chinoise, même si l’on peut penser que n’auront pas manqué les compagnies qui, dans une situation difficile, ne seront pas arrivées à garder l’autocontrôle qu’on leur avait ordonné.
   Les jours suivants, le caractère armé de la révolte devenait plus évident. Un dirigeant de premier plan du parti communiste appelait l’attention sur un fait sans aucun doute alarmant : « Les insurgés ont capturé quelques blindés et y ont installé des mitrailleuses, à seule fin de les exhiber ». Se seraient-ils limités à une exhibition menaçante ? En tous cas, les ordres donnés à l’armée ne subissent pas de changement substantiel : «Le Commandement de la loi martiale fait savoir de la façon la plus claire à toutes les unités que l’on n’ouvrira le feu qu’en dernière instance »[5].
   L’épisode même du jeune manifestant qui bloque de son corps un char d’assaut, célébré en Occident comme symbole de l’héroïsme non-violent en lutte contre une violence aveugle et indiscriminée, est vu par les dirigeants chinois, toujours si l’on s’en tient au livre ici cité, de façon diverse et opposée :

Nous avons vu toutes les images du jeune homme qui bloque le char d’assaut. Notre char a cédé le pas à plusieurs reprises, mais le jeune homme restait toujours là, au milieu de la route, et même quand il a essayé de grimper sur le véhicule, nos soldats se sont retenus et n’ont pas tiré.  Ceci en dit long ! Si les militaires avaient fait feu, les répercussions auraient été très différentes. Nos soldats ont suivi à la perfection les ordres du Parti central. Il est stupéfiant qu’ils soient arrivés à garder leur calme dans une situation de ce genre ![6]

  Le recours par les manifestants à des gaz asphyxiants ou empoisonnés et surtout l’édition pirate du « Quotidien du peuple » montrent clairement que les incidents de la Place Tienanmen n’ont pas été une affaire exclusivement interne à la Chine. »



[1] Nathan, Link, 2001, p. 446, 424, 393.
[2] Nathan, Link, 2001, p. 444-45.
[3] Nathan, Link, 2001, p. 435.
[4] Nathan, Link, 2001, p. 324.
[5] Nathan, Link, 2001, p. 293.
[6] Nathan, Link, 2001, p. 428-29.

Publiés le 9 juin 2012 sur le blog de D. Losurdo,
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio.
Diffusion des extraits de « La non-violenza. Una storia fuori dal mito » avec l’autorisation de l’auteur.

Bibliographie

Conboy K., Morrison J. (2002), The CIA’s secret War in Tibet, University press of Kansas, Lawrence.

Grunfeld A.T. (1996), The Making of Modern Tibet, Sharpe, Armonk (N.Y.)-London, revised edition.

Knaus J.K. (1999), Orphans of the Cold war. America and the Tibetan Struggle for survival, PublicAffairs, New York.

Losurdo D. (2010) La non-violenza. Una storia fuori dal mito. Laterza, Rome-Bari.

Nathan A.J., Link P. (présenté par) (2001), Tienanmen, Rizzoli, Milan.

Tenzin Gyatso [XIV Dalaï Lama], 2009, Il mio Tibet, Urra, Milan.

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